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Mario Girard — Jeudi, 1er mai 2025

L’apaisante beauté des visages

Rencontre avec le photographe Pierre Dury


PHOTO HUGO-SéBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pierre Dury pose devant une mosaïque de photographies qu'il a réalisées.

Les fidèles du Café Cherrier connaissent le travail de Pierre Dury sans le savoir. Ses photos ornent les murs du légendaire restaurant depuis des décennies. Le gros plan sur un René Lévesque pensif, c'est lui. Diane Dufresne sur un rocher avec un arc et des flèches, c'est aussi lui. Chloé Sainte-Marie nue enlaçant Gilles Carle, toujours lui.

Il m'a reçu dans son appartement de Rosemont où il vit depuis des décennies et où certaines pièces servent d'atelier ou de studio. C'est là qu'ont défilé d'innombrables personnalités. Et non les moindres. « Jean Chrétien est venu ici. Son chauffeur l'attendait devant la maison. »

Marjo et Diane Dufresne
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

Marjo et Diane Dufresne lors d'un pique-nique dans un champ appartenant à François Cousineau dans la région de Magog

Le prétexte de cette rencontre est la parution d'un magnifique album qui rassemble les photos de 175 personnalités réalisées à partir de la fin des années 1960. Plonger dans ce livre, c'est découvrir des visages qui nous sont familiers sous des angles rarement offerts.

Pour Pierre Dury, cette prodigieuse carrière commence par des années formatrices au collège Notre-Dame, puis un passage à l'école des beaux-arts de Montréal. Il tâte de la peinture. La passion n'y est pas vraiment.

Il se souvient de Jean-Paul Mousseau venu faire partager son savoir au collège Notre-Dame. Il le rencontre à la Mousse Spathèque, un lieu dont l'étonnant décor jaillit de la créativité bouillonnante de l'automatiste. Pierre Dury devient le bras droit de Mousseau. Et aussi le DJ attitré de ce repaire des noctambules.

Grâce au barman de la Mousse Spathèque, il explore la photographie. C'est le déclic. Quand il voit le film Blow-Up, de Michelangelo Antonioni, il découvre une image romantique de ce qu'il souhaite devenir.

C'est une période enivrante marquée par une série de photographies où la sensualité féminine est mise à l'honneur. « C'était bien beau, tout cela, mais ce n'était pas payant. » Il est engagé chez Québecor et devient le photographe des vedettes québécoises.

« Je me suis démarqué parce que j'essayais des trucs bizarres. Je pouvais demander à quelqu'un de se mettre dans une boîte et sortir sa tête. J'essayais toutes sortes de choses. Je trouvais ça plate, des photos de vedettes. »

- Pierre Dury

Au tournant des années 1970, il fait la rencontre de Diane Dufresne. La chanteuse enregistre ses premiers 45 tours. En 1972, une bombe éclate. C'est la parution de Tiens-toé ben j'arrive !.Pierre Dury réalise la pochette. Son nom se met à résonner.

Yvon Deschamps et Judi Richards
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

Moment d'intimité entre Yvon Deschamps et Judi Richards

Celui qui avoue sans complexe qu'il n'a jamais été très bon pour jongler avec l'argent devient photographe sur les plateaux de tournage. « Ça me donnait 400 $ par jour. » Au total, il immortalisera une centaine de productions québécoises et étrangères.

à ce moment, son cœur bat pour une fille d'une beauté sauvage. Elle se nomme Marjolaine Morin. Elle n'est pas encore celle qui embrasera des années plus tard les scènes québécoises en devenant la leaderdu groupe Corbeau.

Un peu mannequin, un peu styliste, Marjo devient la muse de Pierre Dury. Il la photographie sous toutes ses coutures. Marjo nue dans une baignoire avec un masque d'argile au visage, Marjo avec Diane Dufresne lors d'un pique-nique, Marjo dans un minuscule short plantée sur des talons hauts…

Cette histoire d'amour dure de 1974 à 1980, au moment où Marjo se joint au groupe Corbeau. « Notre séparation a été tellement simple. L'un a dit : “Je m'en vais à droite.” L'autre a dit : “Je m'en vais à gauche.” On s'est embrassés. On est restés très proches. On ne passe pas une semaine sans se parler. »

Dans son livre, le chapitre qui s'intitule Les heures fauves nous montre des photos de la vie nocturne montréalaise à la fin des années 1970, une période que Pierre Dury a vécue à fond.

« J'allais au Night Magic [bar de la rue Saint-Paul] tous les soirs. Je connaissais tout le monde. »

Michel Chartrand
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

Le syndicaliste et militant Michel Chartrand

Il y a plusieurs Pierre Dury. Mais j'avoue que le portraitiste, celui dont la lumière sculpte les visages, me séduit hautement. Michel Chartrand, Raymond Lévesque, François Dompierre, Guy Latraverse, Robert Lepage, Paul Buissonneau, Armand Vaillancourt… Tous ces monstres sacrés se sont abandonnés à son objectif pour offrir l'apaisante beauté de leur visage.

« J'ai décidé de faire des portraits après la mort de Maurice Richard. J'ai fait une liste de 75 personnalités. Bien sûr, il y a eu des refus. » L'un de ces refus est venu de Pierre Foglia que Pierre Dury aurait aimé photographier sur son vélo. « J'ai fait un livre de photos sur Marjo et je voulais mettre une de ses chroniques où il parle d'elle. Il a d'abord accepté, puis c'est devenu compliqué. On a fini par s'envoyer chier. »

René Lévesque
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

René Lévesque photographié à son bureau

John Lennon and Yoko Ono
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

John Lennon et Yoko Ono lors du fameux bed-in du Reine Elizabeth, en 1969

Véronique Samson et Claude Dubois
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

Véronique Sanson et Claude Dubois photographiés à l'aube dans les rues de Montréal

Robert Charlebois
PHOTO FOURNIE PAR PIERRE DURY

Robert Charlebois au moment où sa carrière prend son envol

Pierre Dury a peu de regrets. Mais il y a une photo qu'il aurait aimé faire. Elle aurait réuni Clémence DesRochers, Janette Bertrand et Françoise Sullivan. « J'ai essayé et ça n'a pas marché. Quelle belle shot ça serait. »

Il est fascinant de voir comment les photographes développent divers moyens pour « séduire » leurs sujets. L'approche de Pierre Dury est basée sur l'authenticité. « Avec Jean Chrétien, on a parlé de tout et de rien. Je lui ai dit que je n'avais pas de mémoire. Il m'a dit que lui aussi. J'aime les gens. Un photographe doit aimer les gens. »

Avec cet ouvrage, produit en autoédition, Pierre Dury veut laisser une trace, la sienne, mais aussi celle des dizaines de personnalités qu'il a photographiées au cours des 60 dernières années.

Peu de photographes québécois peuvent se vanter d'avoir eu autant de légendes devant leur lentille.

« La chose serait difficilement envisageable aujourd'hui. Il y a trop de personnalités. Il en arrive tous les mois. C'est plus difficile aujourd'hui d'entrer en contact avec les vedettes. Autrefois, une bouteille de vin ou un joint te permettait d'établir un lien. Ce n'est plus le cas de nos jours. »

Avant de le quitter, je lui ai demandé s'il y avait quelqu'un qu'il souhaiterait photographier de nouveau. « Je ne pense pas comme ça. J'aime le côté instant présent de la photographie. C'est une rencontre qui dure une heure et demie. Et pendant ce temps, je suis au paradis. »

Consultez le site de Pierre Dury

Nos années libres 1968-2025

Nos années libres 1968-2025
Pierre Dury
Autoédition
édition limitée de 500 exemplaires, signés et numérotés
320 pages

[Source]